Souvenez-vous, on vous avait déjà parlé de Jonathan Hobin, ce photographe canadien qui met en scène des enfants dans des reconstitution d’événements dramatiques de l’histoire. Comme sur cette photo représentant la mort de Ben Laden …
Plus de photos de la série « In the playroom » disponibles dans notre précédent article à propos de Jonathan Hobin.
Cette fois, c’est la série « Cry Babies » qui a retenu mon attention, bien que moins connue elle est toute aussi percutante. Et toujours avec des enfants … Parce que les enfants, c’est choquant, chez Shockyou on le sait depuis longtemps. Dans cette série de photos, ce sont les stéréotypes sexistes ou raciaux que Jonathan Hobin fait incarner aux enfants. Le résultat est … amusant ? Dérangeant ? Je ne sais pas vraiment …
« La photo à laquelle les gens ont été le plus sensible fut celle du petit amérindien qui boit et qui fume. C’est un stéréotype particulièrement difficile et qui a la dent dure au Canada. »
Quand j’ai vu ça, je me suis dis que je devais contacter Hobin ! Et lui poser quelques questions … Alors c’est ce que j’ai fait, avec l’aide de Soeur Marie-Josèphe, qui a gentiment traduit les réponses et les questions (donc en gros j’ai rien foutu, exactement).
Voici donc une traduction libre de ma correspondance avec Jonathan Hobin
(et désolé pour les gros mots comme « dyptique » ou « antinomique » , mais ce n’est pas de ma faute … )
On dit souvent que « les enfants sont purs et innocents ». Ceci dit, tes photos « In the playroom » et « Cry babies » tendent à montrer le contraire… est-ce correct ? Y a-t-il une raison pour laquelle tu apprécies cet aspect « pas si sage » de l’enfance?
Je pense que, sur le plan historique, la société a toujours eu des points de vue différents sur l’enfance.
Fondamentalement, le concept de l’enfance telle que nous le connaissons a été créé à l’époque victorienne lorsque les femmes et les enfants se sont retirés du monde du travail. D’une certaine manière, avoir des enfants bien élevés et une femme obéissante sont devenues un signe de succès dans une société patriarcale et, par conséquent, la représentation de l’innocence de l’enfance est devenue le pilier central de très nombreux récits. Je ne pense pas que cette vision romancée de l’enfance concorde avec la réalité du terrain, et c’est en grande partie la source d’inspiration de mon œuvre.
Je pense que ces deux séries d’œuvres reflètent une interprétation plus complexe de l’enfance, une complexité que l’on peut difficilement réconcilier. Pour mieux comprendre comment j’ai utilisé l’image pour explorer ce concept de la pureté de l’enfance, ou de l’absence de pureté, il vaut mieux regarder les différentes idées d’une série de photos et se demander comment celles-ci reflètent les différentes facettes d’une même idée.
Les photos de In the Playroom ne sont pas qu’une représentation imagée de l’incroyable influence qu’ont les médias sur notre culture, c’est aussi une métaphore qui illustre l’impossibilité de disposer d’un cocon de protection qui nous protégerait des médias modernes.
La curiosité naturelle des enfants et la nature persuasive des médias sont représentées symboliquement dans ces images à travers des tableaux vivants reconstitués, délibérément mis en scène, tout en suggérant la naissance d’un mythe moderne. Comme les enfants ont le rôle principal, j’espère que le public pourra se souvenir du moment ou il a, pour la première fois, vu ou entendu les conséquences d’un événement actuel et qu’il arrivera à imaginer la manière dont un enfant percevrait le même événement sachant qu’il a une expérience et un contexte limité.
Cry Babies est une collection de photos et de vidéos choquantes qui mettent l’accent sur la complexité de l’enfance. Vu à travers le prisme de l’imagination d’un enfant et inspiré par un diptyque de photos en médaillon, Cry Babies dépeints une réalité antinomique dans laquelle les anxiétés personnelles et la représentation idéalisée d’une culture populaire partagent le même espace. Les thèmes de la sexualité, de la maladie, des stéréotypes raciaux, de l’exploitation religieuse et de l’identité sont mis en contraste et comparés à travers une série de photos interchangeables et de diptyques de vidéos. En reliant deux expériences vécues pendant l’enfance, Cry Babies a pour but d’inspirer la compassion du public et de susciter des questions sur l’authenticité de l’enfance telle qu’elle est représentée dans la culture populaire.
Dans une série, je me concentre sur la manière dont les problèmes indirects de notre monde arrivent à s’immiscer dans la conscience des enfants. Dans l’autre, je rappelle au public que les enfants sont souvent confrontés directement à des problèmes très douloureux et préoccupants, même si ce sujet a rarement une place de choix dans la culture populaire. Les enfants explorent ces problèmes d’une manière qui leur est propre. Les deux séries de photos servent à illustrer une idée simple : l’enfance n’est pas comme nous nous la représentons. Elle est autant innocente qu’elle est complexe. Mon travail essaye de réconcilier ces deux points de vue.
« Cry Babies est une collection de photos et de vidéos choquantes qui mettent l’accent sur la complexité de l’enfance. »
As-tus reçu des critiques négatives pour « Cry babies » ? Si oui, que te reprochaient-elles ?
Il n’y a jamais de consensus quand il s’agit de décider quelles sont les photos qui choquent le plus le public. Cependant, j’ai reçu des réactions très négatives pour certaines photos de Cry Babies de la part d’un petit groupe de critiques. Les images en question traitaient des stéréotypes raciaux et de la représentation de la race dans la culture populaire. La photo à laquelle les gens ont été le plus sensible fut celle du petit amérindien qui boit et qui fume. C’est un stéréotype particulièrement difficile et qui a la dent dure au Canada. Nous avons une longue histoire de mauvais traitements et de racisme envers les peuples autochtones, et c’est la raison pour laquelle c’était si important pour moi d’inclure cet élément pénible dans un travail traitant de la douleur chez l’enfant. Notez que les critiques sur cette œuvre venaient majoritairement de Caucasiens. Ils se sont concentrés sur le faite que, vu que je suis de race blanche, j’étais privilégié. On m’a dit que je n’avais pas le droit de traiter la question de la race vu que je suis Caucasien. Mais ce qu’ils ignorent, c’est que j’ai collaboré avec des membres de ce groupe racial et que, d’un commun accord, nous avons décidé que ce message était important. D’une certaine manière, leurs critiques essayaient aussi d’étouffer la voix du groupe racial qu’ils prétendaient protéger. Je n’écoute pas l’opinion de ces critiques. A mon sens, il joue aux politiciens vu qu’il est très difficile de se faire financer par le gouvernement. Curieusement, je n’ai reçu que peu de critiques à propos des images traitant de l’extrémisme musulman, ce qui est inquiétant. Outre mes images traitant de la question raciale, j’ai reçu les réactions habituelles de ceux qui me posent sans cesse les mêmes questions telles que : Qu’avez-vous dit aux enfants ? Pensez-vous qu’ils seront en colère lorsqu’ils seront plus âgés ? Pensez-vous avoir ruiné l’innocence de ces enfants ?
« Une grosse partie de mon travail traite de l’idée que notre concept de l’enfance est idéalisé. »
Et qu’en est-il des enfants ? Comment ont-ils réagi ? Comment leur as-tu expliqué ton approche ?
Les enfants sont témoins de beaucoup d’horreurs dans le monde. Je dis souvent : « lorsqu’un enfant est capable de tenir un fusil en main, il sait à quoi il sert. » C’est un élément important de mon travail : expliquer que les enfants sont au courant de beaucoup d’horreurs commises dans le monde. Lorsque j’explique aux enfants ce qu’ils vont devoir faire, non seulement ils comprennent, mais en plus ils veulent souvent aller plus loin. Si je leur dis : « tu vas faire semblant de faire mal à cet autre enfant », ils vont souvent me répondre quelque chose comme : « et pourquoi je ne ferai pas comme si je le tuais ? ». Les enfants ne sont pas aussi innocents qu’on voudrait le croire. Une grosse partie de mon travail traite de l’idée que notre concept de l’enfance est idéalisé. C’est une partie importante de Cry Babies. On m’a beaucoup critiqué d’avoir utilisé des enfants dans In the Playroom. Les gens essayent toujours de faire comme si les enfants ne voyaient pas les images horribles qui circulent dans les médias. J’ai créé Cry Babies pour répondre à ces critiques en mettant en scène des enfants vivant une situation qui, souvent, les touche directement. Les enfants comprennent et savent ce qu’est la douleur. C’est un message qui est peut être difficile à faire passer dans « l’âge d’or » de la culture pop, mais expliquer l’idée à un enfant est quelque chose de facile à faire. Quand ils jouent, ils font semblant de pleurer, de se blesser les uns des autres, voire même de mourir. Ils traitent ces concepts par le jeu et donc c’est assez facile pour moi de les faire jouer devant l’objectif. Ils adorent se déguiser et exprimer des émotions autres que le bonheur sur une photo. La plus grosse difficulté, c’est de les faire s’arrêter de sourire.
Quelle est ta photo préférée, et pourquoi ?
Je ne parle jamais de mes photos préférées parce que je ne veux pas influencer le public. Par contre, je trouve que certaines images arrivent à véhiculer un message de manière très réussie. Il y a aussi certaines photos qui restent gravées dans la mémoire des gens, et on m’en a parlé. L’image la plus représentative de In the Playroom est incontestablement celle de « The Twins » (les jumeaux). C’est facile à comprendre lorsqu’on sait que c’est cette photo qui a inspiré toute la série. En ce qui concerne Cry Babies, je pense que la photo du Lonely Ranger est celle que les gens préfèrent. Même si, parmi mes fans, Scout’s Honour est rapidement devenue l’une des favorites.
Nous recommandes-tu un artiste en particulier ? Quelqu’un à découvrir ?
Parmi mes artistes canadiens préférés, il y a: xxxxx, xxxxx, xxxxx, xxxxx, xxxxx.
Peut-être que vous apprécierez aussi le travail de deux artistes canadiennes: xxxxx et xxxxx
Oui, j’ai censuré les noms qu’il m’a donnés, parce que Shockyou se les garde au secret … Pour les découvrir, il faudra revenir ! 🙂
Je remercie très très beaucoup Jonathan d’avoir pris le temps de répondre à mes questions cons ! Bien sur il devient un Shock Friend, et on suivra son travail de près.